LE DUC CHARLES DE CROY
Un des témoignages les plus marquants pour la connaissance
topographique des villes et villages des anciens Pays-Bas espagnols au
tournant des XVIe et XVIIe siècles est sans nul doute
l'admirable collection des «albums» du duc Charles de CROY,
riche d'environ 2.500 vues cavalières, dont la découverte
et la révélation au public scientifique s'est
échelonnée sur vingt-cinq ans, de 1956 à
1981.Charles de CROY appartient à l'une de ces grandes familles
qui, sous les ducs de Bourgogne et les rois d'Espagne, jouèrent
un rôle considérable dans la vie politique et
économique des Pays-Bas.
Il naquit au château de Beaumont le le, juillet 1560, fils du Duc
Philippe, troisième duc d'Arschot, et de Jeanne, dame de Comines
et de Halluin. Le 3 septembre 1580, il épousa la veuve de
Lancelot de Berlaymont, Marie de Brimeu, une riche
héritière picarde, calviniste et de dix ans son
aînée. Celle-ci exerça sur son jeune mari une telle
influence qu'il renonça à la foi catholique et abandonna
la cause du roi d'Espagne. Épisode bref, puisque dès
1585, après s'être séparé de sa femme, il
abjurait et revenait à l'Église catholique.
Charles de Croÿ - Né à Beaumont en 1560 et y décédé en 1612 en son chateau natal .
II prit part par la suite à de nombreuses expéditions
militaires et assuma plusieurs fonctions importantes, comme on le
verra..À la mort de son père en 1595, Charles se trouva
en possession de tous les domaines de la maison de CROY. À la
principauté de Chimay reçue lors de son mariage en 1580,
au patrimoine de la maison de Comines-Halluin dont il hérita au
décès de sa mère en 1581 vinrent s'ajouter le
duché d'Arschot, la principauté de Château-Porcien,
les comtés de Beaumont et de Seninghem, les seigneuries
d'Avesnes, Lillers, Quiévrain, Esclaibes, Beveren, les franches
terres de Fumay et Revin, etc. II régna sur ces domaines comme
un prince sur ses États: pour les administrer, il disposait d'un
conseil et d'une chambre des comptes. Huit mois après le
décès de Marie de Brimeu (dont il vivait
séparé depuis 1584 mais dont il géra les biens
jusqu'en 1599), il épousa en décembre 1605 sa cousine
germaine, Dorothée de CROY, fille aînée du duc
d'Havré. À partir de ce moment, Charles de CROY se retira
des affaires publiques pour se consacrer presque exclusivement à
la gestion de ses domaines et à l'accroissement de ses
collections. Charles de CROY mourut en son château natal le 12
janvier 1612. Sa veuve lui survivra cinquante ans.
Décédé sans postérité
légitime, ses biens allèrent à la famille
d'Arenberg. Ce noble fastueux, au sommet de la fortune au jour de la
mort de son père en 1595, est un collectionneur averti:
tableaux, manuscrits, monnaies et médailles s'accumulent dans
ses résidences favorites, les châteaux de Beaumont et
d'Heverlee. Charles de CROY, qui mène grand train, est aussi un
méticuleux: on le voit par exemple annoter de sa main chacune
des dizaines de milliers de pièces d'archives que sa famille a
accumulées au fil des siècles. Et c'est sans doute cet
état d'esprit du collectionneur averti et du gestionnaire
minutieux qui a présidé à la genèse de sa
fameuse collection d'albums. Le cheminement de l'idée et du
projet a été établi il y a peu. Déjà
en 1590, il fait dresser un «cartulaire des cens et rentes»
des terres de Comines et Halluin qu'il avait recueillies au
décès de sa mère. Il en avait fait de même,
vers la même époque, pour la principauté de Chimay
qu'il avait reçue lors de son mariage en 1580. Ces
«cartulaires», en réalité de
véritables atlas, comportaient de très nombreux plans
coloriés, à la manière d'un cadastre. Ces recueils
contenaient aussi quelques vues cavalières des châteaux et
villages. Mais il s'agissait avant tout de documents d'administration.
L'idée lui vint alors de faire reproduire ces plans cadastraux
non plus sur papier comme ils l'étaient dans les cartulaires,
mais sur parchemin et d'y adjoindre, en correspondance avec ces plans,
la vue de chacune des localités, peinte à la gouache
à la manière d'un petit tableau. L'ensemble fut
réalisé en 1596-1598. Il constitue deux gros volumes
conservés encore aujourd'hui dans la famille de CROY : l'un
couvre les biens situés en Hainaut, l'autre ceux gisant en
Brabant, Flandre, Namurois, Artois et Picardie. Débordant alors
le cadre de ses terres patrimoniales (dont il complète le
relevé en 1607 pour la région de Château-Porcien et
Montcornet), Charles de CROY entreprit la «description» des
provinces dans lesquelles il exerçait une haute fonction. La
principauté qui a évidemment d'abord retenu l'attention
de Charles de CROY, c'est celle où il est né, où
il a l'essentiel de ses biens et dans laquelle il exerce depuis 1593
ses fonctions de lieutenant, gouverneur, capitaine
général et grand bailli: le Hainaut (cinq albums entre
1598 et 1602), qu'il complète par Tournai et le Tournaisis (un
album en 1602). Après sa province natale, c'est le pays de sa
mère qui retient l'attention du duc: en 1603, l'album de la
châtellenie de Lille, Douai, Orchies est réalisé,
province dont Charles de CROY est l'un des seigneurs haut justiciers en
raison de la possession de la seigneurie de Comines. Il faut deux
années, 1604 et 1605, pour couvrir le comté de Namur. En
1605-1611 enfin, c'est au tour du comté d'Artois, dont le duc
fut gouverneur et capitaine général à partir de
1597. Enfin il fit peindre en 1608-1609 toutes les localités
riveraines de la Sambre, de la Lys, de la Scarpe et de l'Escaut, quatre
cours d'eau qui traversaient ces principautés. Charles de CROY
conservait cette magnifique collection de 2.500 vues peintes sur de
grands folios de parchemin et répartis en vingt-trois volumes ou
ensemble dans sa « librairie » de la Tour Sainte-Barbe
à Beaumont. Il en feuilletait les volumes et en vérifiait
l'exactitude, comme en témoignent certaines annotations de sa
main. À son décès, les Albums furent
inventoriés et, l'année suivante, expédiés
à Bruxelles pour être mis en vente publique, laquelle eut
lieu le 19 août 1614. C'est alors que commença la
dispersion. Quelques volumes restèrent entre les mains de la
famille, les autres furent acquis par des bibliophiles qui, à
leur tour, les vendirent à d'autres amateurs; ceux-ci en
modifièrent parfois l'ordonnance et même en
dépecèrent quelques-uns. Aujourd'hui, on en a
retrouvé la presque totalité, dispersés dans
différents pays: Belgique, France, Allemagne, Autriche,
Tchécoslovaquie; quelques feuillets épars ont
été repérés en Allemagne, en France et
jusqu'aux États-Unis. Le duc Charles avait confié la
direction de l'oeuvre à un peintre valenciennois Adrien de
Montigny. Son nom figure en tête de nombreux volumes et dans
certains cartouches. On ne lui connaît pas d'autres oeuvres que
les Albums, hormis une représentation du château
d'Heverlee sur parchemin, faite pour Charles de CROY. II semble qu'il
fut au service exclusif du duc. Le travail qui lui fut confié,
en effet, était énorme. Il devait parcourir toutes les
régions que son maître voulait voir figurer dans sa
collection, et dresser sur papier un croquis colorié de chaque
ville, village, château, abbaye et couvent. Il voyageait à
la bonne saison, se réservant l'hiver pour reproduire en atelier
son modèle sur parchemin, non sans l'enjoliver parfois au
gré de sa fantaisie. Il était sans doute aidé dans
ce travail par des collaborateurs qui essayaient tant bien que mal
d'imiter leur maître.
Pour donner une allure somptueuse à ces tableautins, on les
encadrait d'un décor fait soit de fleurons formés de
volutes or ou argent, soit d'ornements architecturaux, soit encore de
fleurs, de fruits, d'oiseaux ou d'animaux domestiques.
« Formé à l'Université de Louvain par
Valerius, philologue et humaniste distingué, ami de Juste Lipse,
sa doctrine au point de vue catholique manquait de fermeté. Les
doctrines de Luther et de Calvin qui se glissaient dans l'enseignement
d'Erasme, y avaient laissé, avec l'éclat de son talent,
ses « dangereuses » complaisances (!). Son père
Philippe l'avait placé dans le milieu le plus dangereux, le
collège des Trois langues, le plus imprégné de ce
demi-catholicisme que lui insufflait Erasme » .
Élève sérieux, appliqué et d'une
intelligence au-dessus de la moyenne, dit-on. Cette formation nous
explique partiellement ses erreurs, ses faiblesses, ses
hésitations, ses variations. Il fut d'abord un catholique romain
convaincu, puis, sous l'influence de sa première femme, devint
calviniste militant, enfin, abjura le protestantisme pour rentrer dans
le giron de l'église romaine. Il commanda les armées
protestantes, puis celles des Gouverneurs espagnols envoyés par
Philippe Il. Les rivalités entre Guillaume le Taciturne, son
entourage et les de Croÿ sont connues. Ne jugeons pas son
rôle politique, ni sa carrière militaire. En ces temps
troublés, il n'était pas facile de rester fidèle
à l'Église romaine autoritaire et sectaire, au Roi
espagnol, le sinistre Philippe II, et à sa propre patrie. C'est
Beaumont qui nous intéresse... Il embellit encore, transforma,
agrandit le château Renaissance reconstruit par son
grand-père et embelli déjà par son père.
« Il restaure et embellit en même temps ceux de Chimay et
d'Héverlé, son hôtel de Bruxelles, ses maisons de
plaisance, le couvent d'Héverlé où il érige
des monuments fastueux qu'il peuple de statues sur les
sépultures de ses ancêtres. Il fait au parc de Chimay un
mur qui existe encore aujourd'hui, afin d'y avoir une réserve de
gibier, etc.... Mais toutes ses faveurs étaient pour Beaumont
dont il fit une demeure vraiment magnifique. Il y avait entassé
les œuvres d'art, les plus beaux meubles, les tapisseries les
plus riches ». « Charles de Croÿ est poète,
poète tout à fait rabelaisien. Il aime tourner un sonnet
ou une chansonnette, rimer des petites pièces drôles. Les
recueils que l'on possède encore ne laissent pas de surprendre
par la liberté presque licencieuse avec laquelle il manie les
images les plus osées et les sujets les plus malodorants. On vit
à l'époque des grasses gauloiseries et Henri IV donne
l'exemple. Les poésies de notre Duc sont ornées de
dessins et de peintures de sa femme Dorothée. La
bibliothèque de la Ville de Valenciennes possède
plusieurs recueils de vers écrits par Charles et
décorés par sa femme ». Dorothée aimait
aussi orner les poésies de feu son beau-père; on en
trouve à Valenciennes. Elle-même d'ailleurs taquinait
facilement la muse. Charles s'occupe de ses charges officielles :
gouverneur et grand sénéchal du Hainaut, « Grand
Chamberlan » et sénéchal du Brabant, il oblige les
États du Hainaut, de l'Artois, du Brabant, de Lille, à
payer les subsides imposés comme aux autres provinces. A partir
de 1608, il ne quitte plus guère Beaumont. « Il s'y
complaisait au milieu de ses beaux livres, de ses riches collections
artistiques », « de sa bibliothèque à
laquelle il annexa des collections de médailles, de tableaux,
d'antiquités ». « Il fit rédiger par
François Liesnard, son secrétaire, la description de la
Ville de Beaumont et des autres villages dépendant du
Comté de ce nom (Besogné - 1610) ». « Notre
Beaumontois fit dessiner et réunir en grands albums in folio
villes, villages, châteaux, abbayes du Comté de Hainaut,
Namur, etc... La plupart de ces volumes furent réalisés
par un peintre hennuyer de Valenciennes Adrien de Montigny. L'ensemble
de ses quarante albums se trouve actuellement à la
bibliothèque de Vienne ». « On lui doit aussi des
dessins à la plume d'une rare fidélité »,
relatifs aux pays de Beaumont, de Chimay et d'Avesnes. Entouré
d'une cour nombreuse, Charles de Croÿ mène une existence
fastueuse. Une armée de secrétaires rédigent les
« cadastres » et les descriptions ou «
besognés » de ses biens. L'inventaire de ceux-ci
révèle l'existence de 354 tableaux (Rubens, Jordaens,
Mauclere, Véronèse, Maubeuge, Floris, etc ... ). Il avait
commandé lui-même des tableaux à Rubens. Il avait
aussi commencé une superbe collection de médailles et
déjà fait reproduire en gravure une grande partie de
cette collection. Ses responsabilités, sont multiples:
Lieutenant - gouverneur, Capitaine - général et Grand
Bailli du Comté de Hainaut et de la Ville de Valenciennes
». Le Hainaut fut assurément la terre de
prédilection de Charles de Croÿ. Bien qu'il eût des
terres et des demeures dans d'autres provinces, c'est dans son
château de Beaumont - occasionnellement dans celui de Chimay -
qu'il aimait résider. Son grand-père, Philippe, son
père Philippe de Croÿ, avaient été, comme
plusieurs de leurs ancêtres, Grand Bailli de Hainaut et
lui-même occupe cette charge. On comprend qu'il ait tenu à
ce que son Hainaut natal, « tenu bénie de Dieu et du
soleil », soit représenté de façon
somptueuse dans sa magnifique collection d'albums de gouaches. Du
reste, une fois les volumes de ses propriétés
exécutés par Adrien de Montigny, c'est au même
artiste qu'il confie la description du Hainaut: ces albums seront les
premiers de sa prestigieuse série.
23 volumes représentant 2500 vues peintes par Adrien de Montigny sur de grands folios de parchemin
* 1598 à 1602 cinq Albums sur le Hainaut
* 1602 Album sur Tournai et ses environs
* 1603 Album sur la châtellenie de Lille , Douai Orchies
1. Auberchicourt
* 1604 1605 Albums couvrant le comté de Namur
* 1605 1611 Albums couvrant le comté de Artois
* 1608 1609 Albums couvrant les localités
riveraines de laSambre, de la Lys , de la Scarpe et de l' Escaut
* 1614 le 19 aout vente publique après son déces et dispersion